Explorer la capitale est une occupation comme une autre ! Surtout lorsqu’on connaît et vit dans la ville depuis plusieurs années, maintenant ! Peut-être que je croiserai des gens qui ont besoin d’aide ! Bon, parfois, je ressens encore ce malaise particulier, celui du mal du pays quand on arrive dans un lieu inconnu. C’est vraiment rare, mais il est bien là. Le regret d’être loin de Reytel, de ne pas voir mes parents, de presque… ne pas être une fille… ? Je n’aurais pas eu à venir habiter à Elsia, si j’avais été une fille.

Cependant, je n’aurais pas eu l’occasion de ‘le’ rencontrer non plus ! Est-ce que ça aurait été une bonne ou une mauvaise chose ? À vrai dire, je ne sais pas. Je ne regrette pas de l’avoir rencontré, sincèrement ! Et encore moins d’être son ami ! Je le soutiendrai toujours, toujours ! Je le jure ! Juste quelques fois, j’ai plus l’impression d’être un poids inutile en prime d’être un idiot pour lui et son entourage.

Oh ! Je m’en fais sûrement trop à ce sujet, non ? Si je l’embêtais réellement, il ne m’aurait pas gardé à ses côtés, n’est-ce pas ? Ou il me l’aurait dit en face, sans aucun doute ! Peut-être même exilé hors de Nael ? Je ne sais pas du tout. Je réfléchis trop, je crois ! Les promenades, elles sont faites pour se détendre, et non l’inverse ! Allez, il faut que j’arrête de sans cesse me poser cette question ! Depuis le temps, j’ai bien compris que je n’aurai jamais la réponse !

Il n’empêche que j’aimerais bien rentrer à Reytel. Juste pour quelques jours. Malheureusement, je ne peux pas. Pas sans autorisation, pas sans prévenir. Rien que traîner dans Elsia sans avertir où je vais, je parie que je me ferais réprimander si on me cherche ! Compliqué ! On s’habitue, bien sûr ! En tout cas, moi, je m’y suis habitué !

Vagabondant tout seul à travers les rues, mon esprit revient quand même à cette question sans réponse, mais également un peu aux évènements de Katara. Je me demande si je pourrais le soutenir davantage… Au loin, une légère lueur rougeoyante attire mon attention, coupant court à mes pensées. Qu’est-ce que c’est ? On dirait du feu. Quelqu’un a provoqué un feu de forêt dans l’un des parcs de la ville ?! Non, non, ça ne va pas ! Il ou elle, qui que soit cette personne, va faire des blessés ! Autant humains qu’animaux, d’ailleurs !

Vite, vite ! Je dois intervenir, sauf que je n’ai pas la moindre idée de comment ! À mon grand regret, je ne contrôle pas l’eau ! En plus, si on ne fait rien, l’incendie se propagera ! Pourquoi personne n’a encore réagi ? Suis-je le seul à l’avoir vue, cette flamme ?! Précipitamment, aussi rapidement que mon endurance me le permet, je cours vers la vague lueur brillante. Et je m’arrête devant l’étendue verdoyante du parc pour m’écrier, à moitié essoufflé par cette brève course :

« Arrêtez… ! Vous… vous allez provoquer un incendie… ! »

Les mains sur les genoux, j’essaye de reprendre péniblement mon souffle. Ma vision danse un peu, comme si j’avais soudainement le tournis. Ah bien, je fais peine à voir. Si le Seigneur Baal était là, il se moquerait certainement de moi en ce moment même. Après une bonne minute à recouvrer ma respiration, je me redresse lentement pour apercevoir… qu’il n’y a rien du tout. Pas d’incendie ou quoi que ce soit. Juste une jeune femme aux cheveux vacillant entre le rose foncé et le rouge. Et qui semble jouer avec des flammes dans ses mains. Oh. Une Mage… ? Elle est en train de s’entraîner, peut-être… ?

« Ah… ! Je suis désolé de vous interrompre ! J’ai cru qu’un incendie avait été déclaré à cause de vos flammes… »

Penaud, je baisse un instant les yeux, tout en me frottant l’arrière de la tête. Avant de les relever pour l’observer avec une légère curiosité. Il faut dire que les Mages m’ont toujours impressionné. Moi, qui aurais dû en devenir un également.

« Est-ce que vous étiez en train de vous exercer avec la Magie ? »

- L’Ambition d’une Aristoloche -

Coupée net dans mon élan, prise par surprise, je me retournai et vis un jeune homme, probablement de mon âge, et épuisé par sa course effrénée. La question qu’il me posa était peut-être idiote, ce n’était peut-être même pas une vraie question, ou bien il n’avait rien de mieux à dire.  Je ne sais pas, quoi qu’il en soit, il faut que je surmonte ma timidité et que je lui réponde.


Il s’arrêta, me regarda fixement. D’un premier abord, je ne comprenais pas ce qu’il avait, son regard ne me quittait pas. Ce regard fixe… il était déconcertant, alors je le fixai aussi pour comprendre ce qui n’allait pas. Je compris alors que c’était un regard admiratif et qu’il avait l’air impressionné. Mais pourquoi ? Je n’ai jamais été une mage très douée. Il est vrai que je suis sortie diplômée de l’école de magie, mais ça ne fait pas de moi quelqu’un de talentueux.

Il restait là, immobile et se tut. Je compris alors qu’il fallait que je reprenne mon entraînement, avec cet improbable spectateur. Bien sûr, le fait que quelqu’un me regarde m’entraîner est déstabilisant. Échouer seule, c’est une chose, échouer en public, c’en est une autre, alors je devais faire de mon mieux pour continuer à voir briller cette lueur dans son regard.

Je m’y remettais alors, en lançant des boules de feu ou en contrôlant des flemmes qui semblaient d’autant plus impressionnantes sous ce magnifique soleil de plomb. Cette chaleur était exténuante. Je sais que c’est un comble pour un mage de feu d’avoir chaud, mais pourtant, c’était le cas. Il fallait que je fasse une pause, que je me désaltère, et peut-être même que je mange, après tout, l’heure fatidique du repas approchait à grand pas.

Peut-être fallait-il que je prévienne mon spectateur, ou alors il se serait rendu compte lui-même que mon entraînement cessait. Quoi qu’il en soit, il m’a observée durant mon entraînement, alors la moindre politesse est de l’inviter à ma table. D’un pas timide, je m’approchai de lui. Je lui expliquai alors que j’étais une bonne cuisinière, et que j’avais préparé une soupe pour ce midi.

Une Mage de feu, même si ce n’est pas si rare d’en croiser habituellement, la plupart s’entraînent directement à l’école de Magie plutôt qu’au milieu de la ville. Je ne suis même pas certain que ce soit autorisé, pour tout avouer. Mais vu que personne ne l’a encore arrêtée, ça doit aller, je pense. Tant qu’elle ne provoque pas un incendie ou quoi que ce soit de dangereux ! Le feu est un élément très… fougueux, il faut dire ! Mal contrôlé et il peut faire des ravages ! Eh bien, peut-être moins que la Magie noire, note. Je n’aime pas trop la Magie noire. Elle est assez effrayante.

Mes parents sont des Mages comme cette jeune femme ! Des Mages plutôt spécialisés dans la Magie d’électricité pour mon père, et d’eau pour ma mère ! Même s’ils m’enseignaient les bases pour tous les éléments possibles ! J’aime particulièrement l’eau, comme ma mère, et la Magie blanche ! Sauf que je ne peux rien utiliser de tout ça. Enfin si ! Je pense que les sorts de soin sont une forme de Magie blanche, non ? En tout cas, ils ne sont pas offensifs et ce sont les seuls que j’arrive à lancer ! Mieux que rien tout de même !

Du coup, peut-on dire que je suis un Mage… mais tourné vers la guérison ? Vu comme ça, je n’ai pas complètement échoué ! Je suis juste… inoffensif, tout bêtement. De toute manière, j’ai déjà pris ma décision ! Je continuerai mon chemin en tant que Soigneur, et mes parents ne pourront rien dire ! Sauver des vies aussi, c’est bien, d’abord ! Même s’il y a des gens qui s’amusent à dire que les Soigneurs ont le sang des autres sur les mains. Ça m’est égal ! C’est comme être médecin, après tout !

Enfin, au bout d’un certain temps, la jeune femme cesse son « spectacle » de flammes. Je suppose qu’elle est fatiguée, voire épuisée. La Magie demande pas mal d’énergie. Tout comme il faut de la force pour soulever et manier une arme. Rien d’anormal ! J’applaudis légèrement, aussi discrètement que possible, arborant toujours un large sourire. Je me demande si je pourrais lui passer quelques sorts de feu que mes parents m’ont enseignés ! Ah ! Mais peut-être qu’elle les connaît déjà si elle a été à l’école de Magie !

Ah ! C’est étrange, ce sentiment qui m’habite. J’ai un peu l’impression qu’on me ronge l’intérieur de l’estomac. Pas exactement très agréable, tout ça ! Tant pis, ça n’a pas l’air d’être en mesure de me tuer ! Et puis, il y a plus intéressant pour le moment ! La jeune femme aux cheveux rouges est venue me parler ! Elle a l’air… plutôt timide ou nerveuse, n’est-ce pas ? Son ton est très hésitant ! Comme si elle préférerait ne pas avoir à me parler ! À moi de faire de mon mieux pour la mettre à l’aise, dans ce cas ! Un grand sourire enthousiaste aux lèvres, j’acquiesce de la tête :

« Ça ne vous dérange pas d’inviter un inconnu à manger ? Mais j’accepte avec plaisir, merci ! »

Rayonnant de joie à cette généreuse offre, je la suis alors qu’elle ouvre la marche vers sa maison. Ou au moins, je pense que nous allons chez elle ! Je m’arrête brusquement un court instant en réalisant le principal « défaut » qui m’oblige à choisir soigneusement mes propres repas. Puis je la rattrape en courant derrière elle :

« Ah ! Attendez ! Finalement, je ne pense pas pouvoir accepter ! Je suis végétarien, et je ne veux pas vous embêter à préparer un plat juste pour moi ! Je suis désolé ! »

Je passe la main dans mes cheveux violets avec un sourire plus penaud. Mais j’ai pris la bonne décision, de lui dire, j’en suis persuadé ! Il ne vaut mieux pas qu’elle s’embête avec moi, même si je suis à peine capable de cuisiner tout seul ! Je crois que je suis vraiment un cas désespéré !

- L’Ambition d’une Aristoloche -

La cuisine… c’est l’un des seuls domaines dans lequel je suis douée. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais c’est comme ça. Le plus étonnant est que je ne l’ai jamais étudiée contrairement à la magie.  Et pourtant, je suis meilleure en cuisine. C’est étrange, mais c’est comme ça.

Pour tout dire, je ne sais pas comment, ni pourquoi je m’y suis mise. Peut-être avais-je besoin d’un passe-temps autre que la magie, pour me changer les idées ou alors peut-être que je voulais attirer l’attention des gens car ce n’est pas simple d’être timide.

La réalité, c’est que ça a fonctionné, beaucoup de gens s’agglutinèrent chez moi pour manger. Malheureusement, ce sont plus une bande de pique-assiette qu’autre chose, ils sont intéressés et donc ce sont plus des connaissances que des amis.

Suis-je heureuse comme cela ? Ou devrais-je essayer de rencontrer d’autres personnes ? Quoi qu’il en soit, ça ne coûte rien d’essayer, j’imagine. Et puis ce prêtre, a l’air gentil après tout, alors l’inviter n’est peut-être pas une si mauvaise idée, et maintenant c’est un peu tard pour faire marche arrière.


La route n’est plus bien longue jusque chez moi, alors nous ferions mieux de nous hâter car mon estomac crie famine, et puis il faudrait que je nourrisse Ruby aussi. De plus, il faut que je réchauffe la soupe, parce qu’une soupe froide, ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais ça prendra un peu de temps. Et enfin, plus tard nous arriverons, plus tard nous mangerons.

Un peu plus loin sur le chemin, voyant ma maison au loin, j’annonçais alors à mon invité :


Excitée à l’idée de lui montrer ma maison, j’accélérai alors le pas. Il me suivait, mais il avait de plus en plus l’air fatigué. Peut-être que j’allais trop vite pour lui ? Cette pause repas n’en sera que plus méritée dans ce cas !

Malgré ma déclaration comme quoi je suis végétarien, la jeune femme ne semble pas plus dérangée que ça. C’est plutôt rare ! D’habitude, ce n’est pas les soupirs d’exaspération ou les tentatives de revenir en arrière qui manquent. C’est en quelque sorte vraiment agréable d’être accepté avec cet inconvénient pour une fois ! Je souris davantage, véritablement ravi, et trottine à ses côtés. Je ne sais pas pourquoi elle est si pressée de rentrer chez elle, mais je ne vais certainement pas me laisser distancer ! Même si euh… je ne suis pas très endurant. Genre… pas du tout ! Rien de nouveau, certes !

J’espère juste que nous sommes bientôt chez elle, vu que la femme aux cheveux rouges tient absolument à ce que je déjeune en sa compagnie ! De la soupe aux légumes, ça devrait aller, je pense ! Si aucun aliment suspect n’a été glissé avec. Je ne peux pas le savoir, après tout ! Cependant, son tempérament timide ne me paraît pas du tout méchant. Je doute qu’elle me mentirait sur un truc comme ça… n’est-ce pas ? Ça m’étonnerait vraiment beaucoup ! Je préfère lui faire confiance, il y a moins de risque ! Ouais, voilà ! Exactement !

Au bout de quelques minutes supplémentaires, la jeune femme s’arrête devant une porte qu’elle ouvre et m’invite à entrer. J’arrive près d’elle, me penchant légèrement en avant, les mains sur les genoux, et essaye de recouvrer mon souffle. Je suis clairement essoufflé. Et si mon esprit était un peu plus clair, brumeux par le manque d’oxygène dans mes poumons, il serait sûrement en train de criser de honte. Il me faut une bonne et longue minute pour récupérer avant de me redresser face à elle, souriant et acquiesçant.

Juste avant de faire un pas dans la bâtisse, j’entends un bruit semblable à un battement d’aile, beaucoup trop fort et proche pour être un simple oiseau qui passe. Je cligne des yeux, surpris une brève seconde, puis entre sans me poser plus de questions. Une douce odeur de légumes divers et variés flotte dans l’air, dont je peux reconnaître la majorité à l’exception des moins perceptibles. Je suis plus qualifié en plantes qu’en fruits et légumes, mais j’ai quelques vagues connaissances à leur sujet. Détail à priori normal pour un végétarien.

Naturellement, je me range sur le côté de l’entrée pour laisser mon hôte aux cheveux rougeoyants guider à travers les pièces, bien que la maison ne semble pas immense et paraît être presque similaire à la mienne, à Reytel. Mais pas tout à fait non plus. J’observe l’ameublement avec un sourire enthousiaste et plutôt approbateur devant la décoration simple. Puis je reporte mon attention sur la jeune femme.

« Au fait, je m’appelle Myo, enchanté ! Maintenant, nous ne sommes plus des inconnus ! »

Instinctivement, je tends ma main vers elle pour la saluer poliment, en espérant ne pas être trop invasif.